"Je ne suis pas une boîte de petits pois"

Dans le cadre du développement du réseau de professionnels indépendants que j'ai créé, je rencontre un grand nombre de personnes intéressées par le temps partagé et souhaitant potentiellement rejoindre notre réseau. Je prends le temps d'échanger en profondeur sur leur parcours, leurs compétences, leurs appétences et leurs secteurs de prédilection. 

 

Au début de l'entretien, on me pose souvent la question : "est-ce que vous êtes une plateforme de freelances ?".

 

Ce à quoi je réponds systématiquement : "Ah non ! Flexter n'est certainement pas une plateforme, car je considère que nous ne sommes pas des boîtes de petits pois" !

 

Et cela m'a donné l'idée de rédiger cet article.

 

Le titre aurait pu aussi être : "Pourquoi un freelance ne se réduit pas au tarif qu'il propose".

 

Il n'a pas vocation à critiquer les plateformes de mise en relation entre professionnels et entreprises (ni les petits pois que d'ailleurs j'aime beaucoup !), mais plutôt à faire réfléchir à la valeur ajoutée que peuvent apporter les indépendants aux organisations aujourd'hui.

 

 

Les plateformes, un progrès pour rapprocher deux mondes

 

Il est indéniable que les plateformes ont permis de développer le travail des freelances.

 

D'une part, en permettant aux entreprises d'entrer en contact avec un monde qu'elles ne connaissent pas. J'ai pu constater en sautant le pas de l'indépendance il y a près de 5 ans, que j'ignorais complètement qu'il existait une vie entrepreneuriale bouillonnante en dehors des murs de mon entreprise ! Et mon réseau reflétait cette situation: concentré sur les personnes que j'avais connues en entreprise, avec très peu de contacts en dehors de ce monde, à part les agences avec lesquelles j'avais pu travailler.

 

Les plateformes offrent aux entreprise la possibilité de rencontrer des personnes correspondant à leurs besoins en compétences, là où auparavant elles ne pouvaient se fier qu'au bouche-à-oreille.

 

De la même façon, les freelances peuvent prétendre se faire connaître de sociétés auxquelles elles n'auraient pas eu accès autrement, soit parce qu'ils / elles débutent leur activité, soit parce que leur réseau n'est pas assez développé, soit parce que l'approche commerciale n'est pas forcément leur point fort, etc.

 

En rassemblant au même endroit offre et demande, la plateforme multiplie les opportunités de contacts.

 

Mais il y a un "mais" (voire plusieurs) : la dimension humaine de la mise en relation notamment, est largement mise de côté.

 

 

 

Une photo, une fonction, un prix

 

Pour autant que j'aie fréquemment été tentée de me référencer sur une de ces plateformes, j'ai toujours eu un vrai problème à m'imaginer réduite en page d'accueil à une photo, une fonction, et un prix. Alors je ne me suis jamais inscrite !

 

Passons sur le sujet de la photo qui nous avantagera ou pas en fonction que l'on est photogénique ou pas : c'est le lot du monde d'images dans lequel nous vivons.

 

Alors qu'est-ce qui va permettre à l'entreprise de faire un premier choix parmi l'ensemble des profils selon le type de fonction qu'il recherche ? Le prix affiché ! 

 

Certains sites proposent même une présélection de profils au moyen de curseurs que l'on fait glisser en page d'accueil pour définir sa fourchette de prix :

 

 

Et pourtant, lorsqu'on veut acheter un lave-vaisselle par exemple, on prend quand même le temps de rechercher ses fonctionnalités avant de regarder le prix, non ?

 

En l'occurrence, une étude réalisée par Sofrès il y a quelques années montrait les critères de choix suivants pour le Gros Electro-Ménager : le critère "appareil le moins cher" concernait seulement 17% des ménages interrogés. 

Si Fnac.com est capable de réaliser un guide permettant de "bien choisir ses appareils Hi-Fi" (https://www.fnac.com/Guides/bien-choisir-son-hifi) sans forcément y faire apparaître le prix en première page, pourquoi ne pourrions-nous pas nous comporter de la même façon lorsque nous faisons appel à des compétences externes ?

 

Le réflexe conditionné et même ici "entretenu" de la question du fameux "taux jour" est d'autant plus paradoxal que très souvent, les prospects contactent de potentiels freelances sans avoir de budget précis en tête.

 

 

 

Derrière un intitulé, toute une vie professionnelle

 

Réduire un professionnel à un prix, au-delà du fait de nous considérer comme des "consommables", c'est nier la multiplicité d'expertises que recouvre un seul intitulé de poste.

 

Pourquoi accepte-ton l'idée que pour une même fonction "sur le papier" ("directeur marketing" par exemple), on puisse proposer en recrutement des rémunérations qui vont du simple au triple en France en fonction du secteur concerné, du budget engagé, de la taille de l'équipe managée, des pays dirigés, de la complexité, mais que le choix d'un expert externalisé se définisse en premier lieu selon le taux journalier qu'il propose ?*

 

Quand j'ai créé ma structure, je totalisais plus de 20 ans passés en entreprise, et c'est le cas de nombreux professionnels aujourd'hui quand ils font le choix de se mettre à leur compte. Pour certains, ils ont cumulé des expériences différentes, qui ne sont pas forcément réductibles en deux-trois termes dans un encadré, avec le prix au premier plan.

 

Quand on avance dans son parcours professionnel, on acquiert des compétences, qu'elles soient techniques ou humaines, un savoir-faire, de l'efficacité et de l'efficience, du recul, des réflexes, une vision, de la lucidité, une perception plus aigüe de ce qui est important ou moins, chaque année nous rendant plus riche que la précédente. 

 

 

 

Les indépendants, acteurs centraux du monde du travail de demain

 

La vision du freelance employé "à la tâche" à l'instar des journaliers, paysans louant leur travail à la journée, a fait long feu. 

 

Le monde du travail que nous connaissions, où le CDI est considéré comme "la norme", est en train d'évoluer à grande vitesse. La France est en retard par rapport à ses voisins européens quant à la place qu'occupe ici le travail indépendant selon l'INSEE, avec 10% de sa population active "indépendante" (hors agriculture), là où ce taux atteint plus de 15% aux Pays-Bas et même 20% en Italie**. Sans parler des Etats-Unis, où l'on estime à 35% la part des freelances sur le marché du travail***. Depuis plusieurs années en revanche, la tendance en France est à la croissance, et il y a fort à parier que la crise sanitaire aura accéléré ce mouvement.

 

De mon côté, je crois en un futur du travail différent, flexible sans être nécessairement précaire, pour ceux qui le choisissent.

 

Un futur où les compétences externalisées rejoindront les forces vives de l'entreprise pour permettre à celle-ci de se développer de façon plus agile dans un mode où les mutations s'opèrent à une vitesse qui croît de manière exponentielle.

 

Dans mon activité, j'ai délibérément voulu créer un réseau de professionnels à temps partagé où l'on mette avant tout en avant des femmes et des hommes, et la valeur ajoutée que peut apporter un manager à l'extérieur de l'entreprise, plutôt qu'un "prix".

 

Chaque entreprise possède ses spécificités, et derrière chaque mission se cache une réalité différente. C'est en échangeant avec un partenaire potentiel que le dirigeant peut formuler son besoin plus précisément, et sortir de la logique pure de "coût / jour" qu'il avait peut-être à l'esprit avant de nous contacter.

 

Et pour l'instant, c'est un mode de fonctionnement qui semble convenir aux experts à temps partagé qui nous rejoignent, à ceux qui me contactent, mais également à nos clients.

 

Alors non, définitivement, nous ne sommes pas des boîtes de petits pois !

 

 

Audrey Varona-Stone

 

* https://www.journaldunet.com/business/salaire/directeur-marketing/salaire-00590

** https://www.insee.fr/fr/statistiques/4470764?sommaire=4470890

*** Etude Freelancing in America 2019 / Upwork et le syndicat Freelancers Union : https://www.upwork.com/press/releases/freelancing-in-america-2019

 

 

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