L’après-crise des PME : maintenir le cap en intégrant un manager en Temps Partagé dans son équipe de direction

Pendant le confinement, j'ai voulu mettre à profit le temps dont je disposais pour interroger des dirigeants de PME sur la manière dont ils géraient la crise. Souhaitant éviter de solliciter des personnes dont l'activité pouvait être totalement "dans le rouge", j'ai opté pour des interviews dans le secteur de l' agro-alimentaire, et celui des équipements médicaux, particulièrement sollicités sur la période.

J'ai eu la joie d'échanger avec une vingtaine d'interlocutrices et interlocuteurs passionnants, qui ont pris le temps de m'expliquer non seulement comment ils traversaient cette épreuve, mais également comment ils se projetaient dans un avenir à ce moment-là plutôt bien brumeux.

 

Nous avons tous pu lire nombre d'articles sur les "façons de gérer la crise", mais je souhaite partager ici avec vous les témoignages vivants de personnes qui, à la tête d'une entreprise, ont été en première ligne et se sont investies comme jamais pour maintenir à flot leur structure, et assurer la continuité de leur activité dans un contexte plus que difficile.

 

 

La réactivité des petites et moyennes structures

 

Dès l'annonce du confinement, et parfois même avant, les patrons de PME ont dû réfléchir dans l'urgence aux moyens de s'adapter à la situation. A travers la mise en place de cellules de crise, il a fallu gérer l'activité au jour le jour, et savoir diffuser l'information auprès des collaborateurs. Un enjeu important lorsque l'activité demeurait relativement soutenue, comme pour les sociétés agro-alimentaires, mais que le nombre de salariés était en diminution. Jean-Baptiste Gaüzère (Maison Dubernet), évoque la période : "En fait, on a passé notre temps à régler l'urgence : les problèmes de trésorerie, la mise en activité partielle des équipes qui ne pouvaient plus travailler et la réorganisation du travail ou du non-travail".

 

En effet, en parallèle de la mise en place des mesures barrière pour les salariés contraints de travailler sur place, l'organisation a été compliquée par l'absence de certains collaborateurs, soit atteints, soit ne souhaitant pas travailler par crainte du virus.

Pour beaucoup de sociétés, le télétravail s'est ainsi imposé pour une partie des salariés (voir mon article à ce sujet paru au tout début du confinement : https://buff.ly/2Y1yHKQ), et a permis de maintenir certains pans de l'activité. Olivier Reuilly (Immucor), relève : "Au début, l'organisation n'était pas habituée à ce mode de travail lorsque je l'ai rejointe, contrairement à ma précédente société. Déjà avec les grèves, nous avions commencé à avancer sur ce sujet".

 

Ce mode de travail a nécessité, pour les dirigeants et leurs équipes, de maintenir une dynamique managériale à distance. Des rituels ont été mis en place tels que les cafés du matin à distance, les réunions hebdomadaires de l'ensemble des collaborateurs, voire chez certains des idées plus créatives, telles que l'organisation d'un flashmob faisant participer les salariés mais aussi leurs conjoints, enfants et même animaux domestiques !

Mais ce qui caractérise particulièrement les entreprises de petite et moyenne taille, ce sont les capacités qu'elles ont déployées pour réorienter une partie de leur activité. Dans le domaine des équipements médicaux, Alain Roettelé (AMA Santé) précise qu'il a dû "réorienter une partie de ses forces vives vers l'activité de prise en charge des patients à domicile, la plus dynamique pendant le confinement". Rafik Khaldi (Homeperf) a, lui "réorganisé [ses] agences pour garantir [ses] services dans la chaîne de soins et ainsi en assurer la continuité". Et dans l'agro-alimentaire, Philippe Fromantin (Ets JC David) témoigne : "Quasiment du jour au lendemain, nous sommes passés de 60 à 7 personnes, soit les 5 membres du comité de direction plus 2 personnes de l'usine. Je commençais à travailler vers 5-6 heures de matin en tant que chauffeur, puis directeur de production à l'atelier". Laurent Seriat (Coopérative du Sel de Guérande), ajoute "Chez nous, certaines personnes du back office sont passées en production car nous étions quasiment en suractivité en début de confinement".

 

Une solidarité entre départements et salariés a vu le jour, soulignée de façon presque unanime par les interviewés. Jennifer Bourghelle (Savecare), met en avant le fait que "La cohésion d'équipe a été plus forte que jamais. Dans ce secteur du médical, nous avions la sensation de contribuer à un effort commun pour la santé de toutes et tous".

 

 

La résilience, un état d'esprit qui se travaille

 

 Pour "naviguer par temps de tempête", beaucoup s'accordent sur le fait que ce sont les PME les mieux préparées qui tirent leur épingle du jeu. Sans évoquer particulièrement de "recettes", quelques clefs de succès ont émergé dans nos échanges.

 

1. L'agilité comme un mode de fonctionnement habituel

 

Savoir s'adapter est une compétence qui s'entretient au quotidien. Christophe Simon (Prémanis), emploie le vocabulaire sportif : "Pour réagir vite et s'adapter, il est nécessaire d'avoir préparé la situation, comme dans un sport où l'on s'entraîne tous les jours". Pour Bernard Mourlon (Farmina), c'est une priorité : "Je travaille l'agilité de l'organisation depuis ma prise de poste. Mon rôle, c'est de mettre des gens en situation de responsabilité et de confiance, pour leur permettre de progresser constamment sur ce point".

 

2. L'intégration, l'écoute des salariés, et le maintien d'un bon climat social

 

Pour qu'un collaborateur "dépasse" le rôle qui lui est traditionnellement attribué et souhaite contribuer à trouver les solutions qui permettront à sa société de passer les obstacles, encore faut-il que celui-ci se soit senti considéré et respecté par l'organisation. Certains dirigeants ont ainsi pu découvrir un niveau d'engagement chez certains collaborateurs, qu'ils n'imaginaient pas aussi fort. Martin Merling (Cafés Merling), a pu ainsi constater que "Les parcours d'intégration mis en place [avaient] porté leurs fruits. En effet quand les personnes entrent dans une entreprise, on ne les connaît pas. On les découvre dans la difficulté. Certains de nos collaborateurs avaient envie de revenir travailler et se sont beaucoup investis. Une satisfaction pour nous car la fidélisation est un facteur majeur dans notre réussite".

 

3. Posséder les outils adaptés et assurer la sécurité des communications

 

Il ne s'agit pas de décider d'un moment à l'autre de travailler à distance pour que ceci soit réalisable. Le matériel informatique doit aujourd'hui être le plus nomade possible. La crise a d'ailleurs poussé certains chefs d'entreprise à équiper à la hâte leurs équipes, et à leur fournir l'accès à leur environnement de travail depuis leur domicile. Mais qui dit "nomadisme" dit également "risque pour la sécurité des données". Pierre-Paul Goiffon (@-health), qui travaille sur des dossiers extrêmement confidentiels, met en garde : "Il n'y a pas de flexibilité possible si le sujet de la sécurité n'est pas résolu auparavant. Le télétravail pose cette question, d'autant plus aiguë que l'on manipule des données de santé". Un point de vue partagé par Jean-François Pomerol (Tribvn Healthcare), dont l'activité est centrée sur la numérisation des échantillons biologiques, et pour qui "La question du partage et de l'accès à l'information est une question du quotidien".

 

  

Des perspectives post-crise où il faudra faire preuve de flexibilité

 

 Au moment de nos entretiens, si l'avenir se dessinait de façon plutôt floue, certaines tendances se sont dégagées naturellement de nos discussions, et devraient être amenées à se confirmer dans la période à venir.

 

  • Une évolution des comportements et des mentalités

Pour certains comme Jean-Noël Darniche (Bonduelle), "Les états d'esprit sont plus ouverts aujourd'hui qu'avant la crise, et c'est donc maintenant qu'il faut opérer les changements nécessaires dans les organisations". On peut noter par exemple la prise de conscience d'une nécessaire digitalisation des activités, mais également une plus grande prise de conscience écologique, comme évoquée par Benjamin Lévy (franchise Optical Center). 

 

  • Une évolution des modes de management

La crise a mis en exergue des professions qui restent habituellement dans l'ombre dans les entreprises, "et qui pourtant tiennent la chaîne alimentaire" pour Christophe Audouin (Les Prés Rient Bio). Cyril Carcaud (David Master-Chavey) souligne qu'il faudra "Savoir reconnaître les professions traditionnellement peu valorisées, telles que les chauffeurs-livreurs, qui ont été clefs pour maintenir à flot notre activité dans l'agro-alimentaire".

 

En outre, les entreprises vont devoir, encore et toujours, améliorer leur capacité à communiquer auprès de leurs salariés, car comme le confie Matthieu Dreyfus (Medimprint) : "La crise a à nouveau, s'il en était besoin, mis l'accent sur la place centrale de la communication dans l'entreprise".

 

En résumé pour Eric Roussel (Diep Conseils) : "Cette crise nous donne l'opportunité de développer nos équipes vers plus de polyvalence, d'autonomie, "d'empowerment", d'engagement, de solidarité".

 

  • Une évolution vers plus de flexibilité dans nos modes de travail

Pour certains dirigeants, la crise a révélé des velléités de travail inattendues, "Comme par exemple la volonté de travailler le samedi de la part de certains salariés", évoque Olivier Poline (plateforme Nouvelles vagues). La crise va poser pour beaucoup de sociétés la question d'une nouvelle organisation du temps et du lieu de travail.

 

  • Une redéfinition des relations commerciales

Du point de vue des relations avec les clients également, des réflexions devront être menées selon Sophie Brillaud (Fimco Seafood), qui a constaté "Une nouvelle confiance née des efforts faits par les fabricants en collaboration avec la grande distribution pour continuer à approvisionner les Français".

 

Mais les compétences spécifiques de négociation avec la grande distribution ne sont pas forcément présentes dans toutes les PME de l'agro-alimentaire.

 

 

Une période de "navigation à vue" s'ouvre donc, qui va imposer aux PME de savoir "bien s'entourer pour être résistantes et incontournables sur les nouveaux marchés qu'elles vont vouloir conquérir", selon Daniel Gardeux (Valette foie gras). Pour adresser de nouveaux canaux de distribution (par exemple un lancement en grande distribution), une nouvelle activité (par exemple la vente en ligne), ou de nouveaux segments de marché, le recours à des compétences externes est souvent nécessaire. Et dans un contexte où il est difficile d'envisager des recrutements pour beaucoup de structures, faire appel à un manager à temps partagé peut être LA solution des PME pour préparer l'avenir tout en maîtrisant leurs coûts et en minimisant leurs risques.

 

 

Audrey VARONA-STONE

 

Je remercie chaleureusement ces responsables qui m'ont accordé de leur temps à un moment où les perspectives d'activité étaient plutôt sombres : Olivier Reuilly (Immucor), Alain Roettelé (AMA Santé), Rafik Khaldi (DG Homeperf), Jean-François Pomerol (Tribvn Healthcare), Benjamin Lévy (CNA développement), Cyril Carcaud (David Master-Chavey), Philippe Fromantin (Ets JC David), Jean-Noël Darniche (Bonduelle), Christophe Audouin (Les Prés Rient Bio), Laurent Seriat (coopérative du sel de Guérande), Bernard Mourlon (Farmina), Jennifer Bourghelle (Savecare), Olivier Poline (plateforme Nouvelles Vagues), Pierre-Paul Goiffon (@-Health), Christophe Simon (Prémanis), Sophie Brillaud (Fimco Seafood), Eric Roussel (Diep Conseils), Daniel Gardeux (Valette foie gras), Matthieu Dreyfus (Medimprint), Martin Merling (Cafés Merling), Boris Didier (Tekmed), Stéphane Chevenot (Relax), Gilles Pascal (IPAD Médical), Brigitte Lescure (Mediflux)